INTERSCULPT 2001:
biennale mondiale de sculpture numérique
par Christian LAVIGNE
Président de Toile Métisse, Secrétaire D'Ars Mathématica, Coordinateur Général d'InterSculpt
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la nouvelle Renaissance

Le siècle qui vient de s'écouler a connu 3 évolutions majeures dans le domaine de la production et de la diffusion des informations et des créations de l'esprit: le cinéma, la vidéo et la télévision, l'imagerie numérique et l'Internet.

Au moment même ou le XXe siècle cède la place au XXIe, s'organise cependant une révolution qui mérite certainement davantage ce nom que la "révolution des images" dont nous parlent exclusivement les théoriciens officiels et les médias paresseux. Cette véritable révolution, encore largement ignorée, est celle des Nouvelles Technologies de l'Objet, c'est à dire de la possibilité de concevoir, de visualiser, de valider, de transmettre et de produire des objets grâce à l'informatique, aux réseaux, aux capteurs et aux imprimantes 3D. Dessiner ou saisir un objet à Paris, l'étudier à Hongkong, le modifier à New-York et le matérialiser à Brisbane, voilà qui est un peu plus fort que d'envoyer sa photo par e-mail - ce que faisait déjà, et sans l'Internet, M. Edouard BELIN et son bélinographe…en 1907!
 

Edouard Belin et son bélinographe
en 1913.

Ces NTO - englobant la CFAO, les machines à commande numérique, le prototypage-rapide, la digitalisation 3D, les mondes virtuels…et qui joueront un grand rôle dans les nanotechnologies - annoncent la véritable société post-industrielle, dans laquelle la production de masse à l'identique finira par devenir une simple étape du progrès technique, étape utile certes mais finalement peu conforme aux désirs profonds des hommes qui aiment toujours à se différencier d'une manière ou d'une autre. Il fallait donc bien en arriver au sur-mesure industriel, à la "Mass Customization"  - comme disent les américains.

Bien évidemment, et même tout naturellement pour ceux qui connaissent un peu l'Histoire, les deux premières catégories d'individus intéressés par cette révolution sont d'une part les ingénieur et les chercheurs des entreprises high-tech, et d'autre part les artistes: sculpteurs, architectes, designers!

Un des pionniers les plus fameux de ces technologies, Pierre BÉZIER, de formation toute scientifique, lançait déjà dans les années 60 l'idée de Sculpture Assistée par Ordinateur, c'est à dire, au fond, les retrouvailles de l'artiste et de l'ingénieur. Il faut d'ailleurs noter que le même mouvement de convergence intéressait aussi le monde musical. Ce n'est pas une coïncidence, mais l'échec d'une société qui avait cru devoir séparer l'Art de la Téchnê, au nom d'une sorte de romantisme bourgeois qui ne visait - et ne vise toujours - qu'à marginaliser la figure de l'artiste en être lunatique et solitaire, détaché des réalités quotidiennes, se réservant à une élite réjouie de lui préparer un grand destin culturel et financier…généralement post-mortem.
 


Pierre BEZIER
Fleur
dessin assité par ordinateur

Pierre BEZIER
Notre Dame de la Commande Numérique
sculpture assistée par ordinateur

Il faut l'avouer, bien des créateurs se sont complus, et se complaisent encore, de gré ou de force, dans cette marginalité redoutable pour l'avenir d'une civilisation. Même si l'idéologie institutionnelle, particulièrement en France, et le Marché de l'Art s'obstinent à dénigrer les artistes des "Nouvelles Technologies" en général et de la Sculpture Numérique en particulier, l'émergence actuelle d'une NOUVELLE RENAISSANCE est un processus irréversible et salutaire.

En effet, les arts électroniques supposent la mise en œuvre d'un système d'Ateliers où la créativité artistique et le savoir-faire technologique se rencontrent autour de projets de collaboration nécessitant des équipes pluridisciplinaires. Bien entendu, ces ateliers sont à la fois des lieux physiques (laboratoire, école, usine…) et des groupes de participants généralement reliés entre eux par Internet et/ou visioconférence…car il s'agit le plus souvent d'un travail en réseau réunissant des personnes géographiquement éloignées les unes des autres.

L'intérêt de ce type de travail est multiple:

  •  du point de vue de l'artiste, c'est la possibilité de concrétiser un projet esthétique autrement impossible à réaliser, et de découvrir diverses techniques; c'est l'opportunité d'apprendre certaines réalités économiques et industrielles; c'est l'occasion de faire connaître et apprécier sa recherche dans de nouveaux milieux sociaux pas toujours familiers du monde de l'art.
  • du point de vue de l'entreprise, c'est la possibilité de réaliser un challenge technologique, de mettre à l'épreuve - et sans stress - les compétences et les outils, d'inventer même des solutions nouvelles; c'est l'opportunité d'un enrichissement intellectuel au contact d'une problématique artistique différente de la logique industrielle classique; c'est l'occasion de médiatiser son savoir-faire au travers d'une action de prestige à plus-value culturelle.
Il s'agit donc, en l'occurrence, d'un véritable partenariat dont chacun des partenaires tire profit sans perdre son identité.

D'un tout autre point de vue, celui de "l'élite" des médiocres, des ignorants, des conservateurs et des charognards que nous avons évoquée plus haut, l'artiste perd son âme à fréquenter la science et l'industrie. Vade retro, ars numerius ! Ces gens-là ont en effet bien à craindre que l'esprit de l'artiste de la Nouvelle Renaissance ne soit plus sous leur empire, et que les créateurs retrouvent en fait leur place et fonction dans la société, s'adressant directement à ses concitoyens - en se passant des "services" des circuits classiques de la critique et du marché de l'art. A l'heure du Home Studio informatique et du World Wide Web, il est temps d'œuvrer autrement, et de dépasser la vieille lune de la pièce unique fabriquée de la main de l'artiste un soir d'hiver dans sa mansarde glacée! Non point que la situation de l'artiste soit aujourd'hui idyllique: hier on cherchait de quoi acheter un tube de couleur, aujourd'hui on cherche de quoi acquérir un Mac, un PC ou un logiciel - Mais l'éventail des possibles est extraordinaire, tant du point de vue des outils que des concepts, avec par exemple cette réflexion à conduire (ou cette décision à prendre) sur la multiplicité, l'ubiquité et la protection des œuvres numériques…

La Sculpture Numérique, ou Cybersculpture, est probablement la discipline la plus en pointe dans la recherche et la mise en place du Nouvel Atelier. Elle ouvre des perspectives fantastiques - comme celle de nous faire dépasser l'opposition réel / virtuel.
 

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